Qu’on se le dise : les Jeux olympiques de Paris 2024 parleront en français. Ils seront les premiers Jeux d’été organisés dans une ville francophone depuis Montréal 1976. Une opportunité historique pour remettre la langue officielle du CIO – avec l’anglais – en meilleure place dans le décor.
Une évidence ? Sur le papier, sans doute. Dans la réalité, pas vraiment. Pour les quatre sports additionnels choisis par le COJO – breaking, escalade, skateboard et surf – le français a toujours été une langue étrangère. Leur vocabulaire y est anglophone, souvent sans traduction dans la langue du baron Pierre de Coubertin.
A l’initiative des autorités françaises, un groupe d’experts a été désigné pour plancher sur une version en français des termes de ces quatre disciplines. Ses travaux ont été bouclés pour deux d’entre eux, le surf et le breaking. Le résultat tient en deux plaquettes, « Parlez-vous break ? » et « Parlez-vous surf ? ».
Dans le premier, le terme de « crew » devient simplement « équipe », le « cypher » est traduit par « cercle » et les « battles » par « défis ». Pour le surf, les experts ont changé en « coeur » le « curl » de la vague et en « tube » son « barrel ».
Les explications de Daniel Zielinski, haut fonctionnaire à la langue française pour le sport, aux manettes de cette patiente mission linguistique.
FrancsJeux : Comment les choses ont-elles débuté ?
Daniel Zielinski : Très simplement. A l’initiative du ministère de la Culture, via la Direction générale de la langue française et aux langues de France (DGLFLF), un groupe de travail a été constitué pour se pencher sur la question des nouveaux sports aux Jeux olympiques. Ils viennent souvent de pays anglo-saxons et s’appuient sur une terminologie anglaise, sans traduction française de leurs termes techniques. Dans la perspective des Jeux de Paris 2024, nous avons travaillé sur les sports additionnels – surf, escalade, skate (planche à roulettes) et breaking – pour trouver une traduction en français. Elle pourra aider les journalistes dans leurs commentaires, mais aussi le public pour mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain de compétition. L’idée n’était évidemment pas de chercher à changer le nom du sport en général, mais plutôt à traduire les différents mouvements et séquences de ces nouvelles disciplines.
Avec qui avez-vous travaillé ?
Nous avons impliqué un grand nombre d’acteurs concernés : des athlètes et techniciens ou dirigeants des fédérations sportives, mais aussi des représentants du COJO Paris 2024, de l’Académie française, de la DGLFLF et du monde universitaire. Le groupe de travail a rassemblé des gens qui connaissent très bien les sports et d’autres qui connaissent très bien la langue française. Il est présidé par Arnaud Richard, professeur à l’Université de Toulon.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons d’abord demandé aux DTN ou présidents des fédérations françaises concernées de nous donner une liste des 10 ou 15 termes les plus utilisés dans leur discipline. Puis nous avons sollicité un laboratoire linguistique, Lattice, spécialisé dans l’étude et l’analyse des mots dans l’espace francophone. Le groupe de travail s’est ensuite mis d’accord sur une terminologie en français. Elle a été soumise pour avis à l’Académie française. Les mots en français définitivement adoptés paraitront au Journal officiel.
Le travail est-il terminé ?
Non. Nous avons commencé avec deux des quatre sports additionnels aux Jeux de Paris 2024, le « breaking ou breakdance » – traduit par break dans notre lexique francophone – et le surf. Nous allons poursuivre avec l’escalade sportive et le skateboard/planche à roulettes. Puis nous nous pencherons sur le cas du rugby, dans la perspective des deux Coupes du Monde à venir en France, cette année pour le XV, en 2025 pour le XIII. Sa terminologie s’est enrichie ces dernières années de nouveaux mots qui n’ont pas de traduction française. Dans le même temps, le COJO Paris 2024 nous a demandé de travailler également sur les sports paralympiques pour leur trouver une version francophone à utiliser pendant les prochains Jeux.
Parmi les quatre sports additionnels, certains se sont-ils révélés plus difficiles à traduire ?
Non. Le break, l’escalade, le surf et le skateboard/planche à roulettes ont en commun d’utiliser une terminologie presque exclusivement anglophone. Le travail est donc assez comparable pour les quatre sports. Dans certains cas, comme pour le break, les mots n’existent ni en anglais ni en français. Ils ont été inventés pour les besoins de la discipline. Les termes de Bboys et Bgirls, par exemple, qui désignent les compétiteurs, sont une pure invention. Nous les avons traduits par danseurs et danseuses de break.
Comment réussir à imposer une version francophone à une terminologie tellement ancrée dans la culture de ces sports ?
Nous sommes conscients que le plus dur commence : comment utiliser les mots en français, en particulier aux Jeux de Paris 2024. Imposer les termes en français ne serait pas efficace. Les adeptes de ces disciplines utilisent des termes anglais depuis des années, ils ne vont pas en changer si facilement. L’idée est plutôt de sensibiliser les médias, pour les aider dans leurs articles ou commentaires, mais aussi d’obtenir que les termes anglais et français apparaissent ensemble. Aux Jeux de Paris 2024, notamment sur les écrans des sites de compétition où sont mentionnées les performances des athlètes, les résultats figureront dans les deux langues officielles du CIO, l’anglais et le français.
Le travail réalisé pour les Jeux de Paris 2024 peut-il aider à renforcer la place de la langue française dans le mouvement sportif international ?
C’est l’un des objectifs. Le travail que nous menons prend également une dimension politique. Il peut contribuer à renforcer l’influence francophone dans le mouvement olympique, où la terminologie technique est très souvent anglophone. Nous nous sommes rendus compte que les appels d’offres des marchés pour les entreprises de la filière sport dans l’espace francophone étaient tous rédigés en anglais ! Mais les nouvelles alliances francophones sportives ont été nombreuses à voir le jour, ces deux dernières années. Elles sont aujourd’hui au nombre de 16 ou 17. Le phénomène est très intéressant. De même, il nous faudra travailler avec le CIO, pour avancer ensemble.