Sale temps pour les grands événements sportifs. Les Jeux du Commonwealth, surtout. Attribuée au Victoria, l’édition 2026 n’a plus de ville-hôte depuis le renoncement de l’état australien. Pour 2030, l’Alberta semblait en position idéale pour rafler la mise. Mais la province canadienne a elle aussi mis les pouces. Dans les deux cas, pas vraiment de plan B.
Qu’en pensent les premiers concernés, les athlètes ? A l’évidence, ils le regrettent. Le Britannique Alistair Brownlee, double champion olympique de triathlon (Londres 2012 et Rio 2016), membre du CIO au sein de la commission des athlètes, va plus loin. Il a pris sa plume pour défendre, dans cette tribune au ton très personnel, l’importance d’accueillir des grands événements sportifs, dont les Jeux olympiques et les Jeux du Commonwealth.
« C’était un jour de juillet 2005. Je marchais dans les couloirs de l’école entre deux cours. « Avez-vous entendu ? » « Non, monsieur », répondis-je. « Londres a été élue ville hôte des Jeux Olympiques. » Fantastique, tant mieux pour eux, me suis-je dit. Mais cela ne me concerne pas. C’est dans sept ans et je ne serai jamais assez bon pour être un olympien.
Ces doutes m’étaient d’abord venus à l’esprit, mais cette nouvelle a eu un effet profond et foudroyant sur moi. Le triathlon était mon hobby, ma passion, mon obsession. Les Jeux Olympiques, rien de plus qu’un rêve depuis que j’en avais pris connaissance en 1996. Au cours des sept années qui ont suivi, il ne s’est probablement pas passé un jour, ou une séance d’entraînement, sans que l’idée de cette compétition ne s’immisce dans mes pensées. Comme une forme de motivation et d’inspiration, mais surtout un moyen de réaliser ce rêve.
Sept ans et des milliers d’heures d’entraînement plus tard. Du sang, de la sueur et des larmes, littéralement. De la volonté, de la détermination. Oser rêver que mes rêves puissent devenir réalité. Des rêves qui ont été brisés mais qui m’ont porté à nouveau. J’étais sur la ligne de départ du triathlon olympique de Londres.
Je courais autour de Hyde Park devant plus de gens que je n’en avais vus à toutes les autres courses auxquelles j’avais participé auparavant. De vieux amis, des membres de la famille, des amateurs de sport, des fans de triathlon et surtout des personnes qui n’avaient encore jamais assisté à un triathlon. Et j’ai gagné la course. Mon petit frère a franchi la ligne d’arrivée en troisième position alors que j’étais affalé sur le tapis bleu en train de récupérer.
J’ai participé à des centaines de courses dans le monde entier. Mais là, c’était différent. Le nombre impressionnant de personnes, la passion, le bruit. Cette course, les Jeux Olympiques, a amené les gens à se serrer les uns contre les autres pour avoir un aperçu de l’action. Non seulement l’action, mais aussi la joie et l’excitation. Peut-être même l’humanité.
Ce jour-là a changé ma vie. Peu de temps après, Jonny et moi avons compris que nous occupions une position à la fois incroyablement privilégiée et lourde de responsabilités. Nous recevions des montagnes de demandes de visites et d’interventions dans les écoles et les clubs sportifs locaux. Nous étions tous deux convaincus de l’importance du sport dans la vie des gens et dans la société, et de la responsabilité qui nous incombait de faire quelque chose à cet égard.
Nous ne pouvions pas nous acquitter seuls de ces obligations et nous avons donc décidé de créer une fondation afin d’assumer nos responsabilités. Près d’une décennie plus tard, nous avons donné à plus de 50 000 jeunes leur première expérience du triathlon, fait don d’équipements et soutenu d’autres organisations qui font la même chose. J’ai également la chance de travailler avec la Fondation olympique britannique, qui a mobilisé plus de 30 000 écoles depuis 2012 et deux millions d’enfants l’année dernière. C’est cela l’Olympisme.
C’est mon histoire olympique. L’inspiration pour donner le meilleur de moi-même et la motivation pour transmettre mes expériences aux autres.
Comme toutes les générations qui nous ont précédés, nous pouvons certes trouver des raisons pour lesquelles les grands événements sportifs, comme les Jeux Olympiques, ne sont plus nécessaires aujourd’hui. Nous pouvons certes dire qu’il existe de meilleures façons d’utiliser les ressources. Que les Jeux sont une relique d’une époque révolue.
Mais je ne suis pas d’accord. Il y a eu 54 éditions des Jeux Olympiques depuis 1896. Cinquante-quatre occasions pour des personnes du monde entier de se rassembler afin de concourir dans la paix. Chacune de ces éditions a laissé un héritage à la région hôte, a présenté le sport sous son meilleur jour et a incité les jeunes à être plus actifs. Peut-être même à rêver, comme moi. Chacune de ces éditions a également connu ses propres défis organisationnels, qui ont été surmontés pour le meilleur.
Au cours de ces 127 années, le Comité International Olympique (CIO) et les organisateurs des Jeux ont dû s’adapter. L’une des priorités des réformes de l’Agenda olympique 2020+5 est de « favoriser des Jeux Olympiques durables ». Paris 2024 s’est engagé à réduire de moitié les émissions de carbone par rapport à la moyenne de Londres 2012 et de Rio 2016 – un engagement conforme à l’accord de Paris sur le climat. Cela signifie également qu’il faut construire moins de nouveaux sites et d’infrastructures afin de réduire les ressources nécessaires à l’organisation des futures éditions des Jeux. J’entends déjà les protestations des historiens olympiques : « Ce n’est pas nouveau ! Les Jeux de Londres de 1948 se sont déroulés sans qu’aucun nouveau site ne soit construit ! »
Aucun évènement d’une telle envergure ne peut résister à l’épreuve du temps sans une résilience et une capacité d’adaptation dignes d’un niveau olympique, diront certains. Dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, le CIO doit réagir rapidement aux défis auxquels il est confronté, et c’est ce qu’il fait : depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’est engagé à verser 7,5 millions de dollars pour soutenir les athlètes et la communauté olympique d’Ukraine. D’ici 2024, un million de jeunes déplacés pourront pratiquer un sport en toute sécurité grâce à l’Olympic Refuge Foundation. Quelques dizaines d’entre eux auront la chance de participer aux Jeux Olympiques en tant que membres de l’équipe olympique des réfugiés constituée par le CIO. Le CIO soutient les athlètes et leur donne les moyens de faire la différence au sein de leur communauté ; il décerne des prix pour des initiatives au service d’actions climatiques et accorde des subventions à des causes sociales qui lui tiennent à cœur.
Sur ces questions, l’innovation à l’échelle mondiale est une chose. Mais il serait négligent de ma part de ne pas souligner que le Mouvement olympique représente bien plus qu’une compétition sportive de haut niveau. Comme la plupart des gens, je respecte les Jeux Olympiques pour leurs traditions et leurs valeurs. Tous les deux ans, des milliers d’athlètes venus des quatre coins de la planète vivent sous un même toit et mangent à la même table. Ils rentrent chez eux dans leurs communautés et emportent avec eux les valeurs d’excellence, de respect et d’amitié. Un numéro d’équilibriste comme on en voit en salle de gymnastique.
Le modèle, si l’on peut dire, est celui d’une région et d’une nation qui investissent dans un événement, un espoir, un rêve. Un événement qui inspire ses citoyens, jeunes et moins jeunes. Un espoir que, grâce au sport, des personnes des quatre coins du monde se rassemblent pour concourir en paix. Un rêve, celui de comprendre que nos similitudes sont bien plus grandes que nos différences. Oui, les Jeux laissent une empreinte particulière sur toutes les villes, régions et nations qui les accueillent. Mais la véritable empreinte qu’ils laissent est sur l’humanité. Si ce modèle n’est pas important dans le monde d’aujourd’hui, alors je ne sais pas ce qui l’est. »