Les championnats du monde 2023 l’ont encore montré, les Jeux de Paris 2024 devraient le confirmer une nouvelle fois : l’Europe mène toujours à vive allure, l’Amérique poursuit son ascension, l’Asie accélère le pas. Les trois continents majeurs de l’escrime ont raflé 41 des 42 médailles aux derniers Mondiaux seniors à Milan.
L’Afrique ? Elle avance. L’Egypte, surtout, s’approche du sommet. Pour preuve la médaille de bronze remportée cette année à Milan par le sabreur Ziad El-Sissy (photo ci-dessus) dans l’épreuve individuelle. A moins d’une année des Jeux de Paris 2024, et trois ans des Jeux de la Jeunesse 2026 à Dakar, le continent se dessine patiemment un avenir.
FrancsJeux a interrogé le Sénégalais Mbagnick Ndiaye, le président de la Confédération africaine d’escrime (CAE), membre du comité exécutif de la FIE.
FrancsJeux : Quelle est aujourd’hui la réalité de l’escrime sur le continent africain ?
Mbagnick Ndiaye : La Confédération africaine d’escrime compte 31 fédérations nationales membres. Mais le niveau d’escrime dans les différents pays et régions d’Afrique s’avère extrêmement différent. L’Égypte est la nation leader, avec des escrimeurs très bien placés dans les classements mondiaux. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal et l’Afrique du Sud ont eux aussi connu un vrai développement. Ces cinq pays placent régulièrement des athlètes sur le podium aux championnats d’Afrique. Les autres nations pratiquent l’escrime, leurs athlètes participent à nos championnats, mais le succès reste à venir. Elles ont mis en place des programmes de développement qui donnent peu à peu des résultats. C’est le cas notamment du Nigeria, de l’Angola, du Kenya et du Togo.
L’escrime gagne-t-elle du terrain ?
Oui. Lentement mais sûrement, elle gagne en popularité dans de nombreux pays d’Afrique. Mais l’escrime n’est pas un sport bon marché, et sans le soutien des autorités locales, il est difficile de la développer. La fédération internationale (FIE) alloue chaque année des subventions d’équipement à tous les pays africains, elle aide aussi les escrimeurs à participer aux camps d’entraînement et aux compétitions. Mais un soutien supplémentaire est nécessaire. Il est évident que dans les pays où le ministère des Sports et le comité national olympique apportent une aide, l’escrime affiche un niveau de développement bien plus élevé. A la CAE, nous essayons d’organiser des championnats d’Afrique dans tous les pays qui disposent des installations pour une telle compétition. Ces événements contribuent à augmenter la popularité de l’escrime.
Que vous manque-t-il le plus ?
Dans la plupart des pays africains, les manques restent nombreux. Ils concernent presque tous les domaines de la pratique et de l’organisation : la gestion et l’administration de la fédération et de ses structures, les équipements, les programmes de développement, notamment pour les cadets et les juniors, les entraîneurs qualifiés capables de développer la pratique au niveau national ou régional. Nous n’avons pas non plus assez de compétitions nationales, et pas encore de système de classement pour les escrimeurs. Enfin, je le répète, beaucoup de pays ne peuvent pas compter sur le soutien des autorités et des partenaires privés.
Quelle est aujourd’hui la priorité de la Confédération africaine d’escrime ?
Nous avons la volonté d’avancer dans deux directions. La première est la mise en place de programmes stratégiques pour le développement de l’escrime en Afrique. C’est évidemment l’une de nos priorités. La seconde concerne la gestion de l’activité sur l’ensemble du continent. En tête de liste, l’organisation des championnats d’Afrique. Ils se dérouleront l’an prochain en Egypte pour les cadets et juniors, au Maroc pour les seniors. Nous organiserons également, en 2024, le tournoi de qualification de zone pour les Jeux olympiques. Il se tiendra en Algérie. Enfin, nous devons accompagner la participation des escrimeurs africains aux compétitions internationales, dont les Coupes du Monde, les Grands Prix et tournois satellites, et bien sûr les championnats du monde.
La FIE a ouvert en 2018 une académie à Johannesburg, en Afrique du Sud. Quel rôle joue-t-elle dans le développement de l’escrime sur le continent ?
Un rôle évidemment très important. Il est fondamental pour nous, en Afrique, de créer un réseau d’entraîneurs d’escrime certifiés dans chaque pays ou région membre de notre confédération. C’est le seul moyen de développer la pratique à grande échelle. Les entraîneurs des autres continents ne sont pas toujours enclins à venir travailler dans les régions sous-développées d’Afrique. Il n’y a pas d’argent, la pauvreté est très présente. Certains s’investissent sur le haut niveau, mais la découverte, l’initiation et l’entraînement initial doivent être assurés par les entraîneurs locaux. L’académie de la FIE à Johannesburg organise tous les ans, entre février et novembre, une formation pour huit étudiants issus des différents pays africains. Elle délivre deux sortes de diplôme : un certificat supérieur en sciences de l’entraînement, reconnu au niveau international, qui permet de travailler comme entraîneur ou professeur d’éducation physique ; et un diplôme d’entraînement de la FIE, approuvé par la fédération internationale dans les trois armes. Depuis sa création, l’académie a reçu 46 étudiants venus de 12 pays.
La présence de l’escrime au programme des Jeux de la Jeunesse 2026 à Dakar pourra-t-elle donner un coup d’accélérateur au développement de la discipline sur le continent ?
Nous l’espérons et sommes impatients de voir l’escrime une nouvelle fois aux JOJ, en 2026 à Dakar, après avoir été présente à Singapour en 2010, Nankin en 2014 et Buenos Aires en 2018. Sa présence au programme devrait encore renforcer sa popularité et amener plus de jeunes à commencer l’escrime. Ces Jeux de la Jeunesse 2026 seront les premiers sur le continent. Ils auront certainement un effet sur le développement de notre sport.